Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Le trou de l’autruche et la déflagration. (Philippe LABBE, 31 août 2014)

1 Septembre 2014, 16:38pm

Publié par mission

Article paru dans Le Quotidien de La Réunion le 31 août 2014 et reproduit tel qu’infra sur le site de ce journal (http://www.lequotidien.re/opinion/le-courrier-des-lecteurs/266892-le-trou-de-autruche-et-la-deflagration.html). Nous avons ajouté ici en fin d’article les cinq passages supprimés mais présents dans la contribution originale adressée à la rédaction (signalés par 1, 2…).


Le combat de Nicolas Lallemand faisant suite au non renouvellement des 300 emplois d’avenir par la mairie du Tampon dépasse très largement le cadre tamponnais et même réunionnais : il exprime un salubre sursaut d’une jeunesse maltraitée.

Que l’on s’arrête tout d’abord sur cette dénomination, « emploi d’avenir ». À qui fera-t-on croire que l’avenir est désormais aussi court ? Qui accepterait que son horizon s’arrête à douze mois (...[i])?

D’un côté, des “ inclus”, bien installés dans des carrières ad vitam pour eux-mêmes et leurs progénitures, dont des politiciens n’hésitant pas à cumuler mandats et avantages connexes ; de l’autre côté, des surnuméraires pour lesquels la définition de l’emploi dit « durable » est, si, si : officiellement, de « six mois ou plus ».

L’âge des conquêtes, la vingtaine, est devenu celui du deuil des aspirations donnant raison à Paul Nizan lorsqu’il écrivait « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » (...[ii])

Il serait toutefois trop facile de ne mettre sur la sellette que les élites politiques. Non qu’elles ne le méritent pas – en témoignent leurs « CV » riches d’expériences judiciaires et de prévarications – mais la maltraitance dont les jeunes sont victimes est le produit d’un système où, sinon tous, beaucoup sont impliqués : depuis les agents de la politique de l’emploi exclusivement préoccupés de statistiques présentables jusqu’aux intermédiaires de l’insertion, petits soldats disciplinés orientant les jeunes vers des dispositifs en cul-de-sac ou miroirs aux alouettes dès lors qu’ils satisfont leurs financeurs. Plus généralement, c’est la société dans son ensemble qui, ma foi sans trop de gêne, porte la responsabilité d’une génération X, Y et désormais Z – comme « zéro » – dont elle ne veut rien faire qui puisse gêner le confort d’une gérontocratie repue et ronronnante.

(...[iii]) Comme l’eau dans une marmite sur le feu, le jugement surviendra en bouillonnements précédés – nul besoin d’être prophète - de bulles éclatant en surface. Lallemand est une de ces bulles, comme le furent les « événements du Chaudron ». On ne sait quand cela se produira, on sait seulement que cela se produira. (...[iv])

Alors, pas de solution sinon le trou de l’autruche et la déflagration ? Peut-être une cependant : que les femmes et les hommes de bonne volonté, pour le coup « acteurs », se prennent en main, qu’ils considèrent que, oui, la vie est courte et que les jeunes d’aujourd’hui sont la société de demain matin. Et que, ne serait-ce que par intérêt, ils s’émancipent de logiques de patch, de bricolage, de cautère sur jambe de bois. Qu’ils, enfin, s’accordent avec les jeunes Réunionnais pour un « pacte territorial pour l’insertion et l’emploi des jeunes » sans – particulièrement pour les acteurs économiques – pleurnicher pour picorer des exonérations et rafler des primes qui construisent la représentation qu’un jeune vaut moins qu’un adulte. (…[v])

Quant à celles et ceux en charge d’accompagner les jeunes, qu’ils soient réellement et non incantatoirement inspirés par Bertrand Schwartz, celui qui a, en 1981, remis le rapport fondateur de la politique d’insertion : socialiser la jeunesse n’est pas une entreprise de normalisation. Pour quelles normes d’ailleurs ? Celles de la précarité et de la paupérisation ? Socialiser, c’est permettre de grandir, donner du temps, sécuriser, apprendre, élever.

Tout l’inverse de ce qui est fait : maintenir en dépendance, exiger des évolutions au rythme des horloges électorales ou des publications statistiques, promouvoir l’instabilité baptisée « flexibilité », rabaisser.

Vaste ambition mais, n’est-ce pas, le pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté ?



[i] … depuis le consommateur lambda achetant sa voiture à crédit jusqu’aux élites présentes dans le paysage politique et institutionnel depuis des décennies ?

[ii] Il conviendrait donc que la jeunesse s’y fasse, qu’elle renonce à l’idée même de « carrière » réservée aux ex-baby-boomers douillettement lovés sous la couette de leurs égoïsmes… sans que ces derniers, ne serait-ce que par pudeur, soient avares de mots tels que « Jeunesse réunionnaise, un impératif, une priorité ! »… une rhétorique ressassée façon 3ème République avec trémolos dans la voix et yeux embués mais juste bonne à anesthésier les Lallemand potentiels, à produire des jeunes que l’on oint d’ « acteurs » en veux-tu en voilà mais que l’on aimerait agrafés comme un insecte sur le liège… tout en leur reprochant leur apathie.

[iii] Michel Foucault écrivait « Une société se juge à la façon dont elle traite ses exclus. » Le jugement ne viendra évidemment pas des adultes et des institutions : comment imaginer que les décideurs décident contre leurs intérêts ? Voyons, à titre d’illustration, la lenteur du métabolisme politique concernant le non-cumul des mandats…

[iv] Lallemand est une de ces bulles, comme le furent les « évènements du Chaudron ». On ne sait quand cela se produira, on sait seulement que cela se produira. L’égoïsme adulte se rassure, pariant sur la force de la reproduction : oui, cela va s’agiter mais, « comme toujours », cela retombera (« Il faut bien que jeunesse se passe ») et « Embrassons-nous Folleville ! »

[v] : à vouloir coûte que coûte conserver leurs marges, ces acteurs à la vue basse tisonnent le feu qui brûlera leurs entreprises.

 

 

 

 

 

 


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