Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Maroquinerie ou marigot. Une histoire de crocodile. (Philippe LABBE)

29 Février 2012, 07:18am

Publié par mission

Transmis par l’excellent veilleur Jérôme, cet article de la revue Capital, « Pour optimiser le placement des chômeurs, Pôle emploi doit davantage rémunérer les opérateurs privés à la performance » (28 février 2012) permet d’apprécier l’opinion des « OPP » (opérateurs privés de placement) sur le Service public de l’emploi en général, sur les missions locales en particulier. Extraits…

Capital.fr : « Un cabinet privé comme le vôtre peut-il remplacer efficacement Pôle emploi ? »

Bénédicte Guesné, directrice d’Ingeus France : « {…} Les seniors, les jeunes sans qualification ou les chômeurs de longue durée nécessitent un suivi régulier, personnalisé, intensif et sur-mesure, que seuls des cabinets comme le nôtre peuvent mettre en place. » 

Capital.fr : « Avec des taux de retour à l'emploi inférieurs à 20%, les opérateurs privés peuvent-ils vraiment se targuer d'être plus efficaces que Pôle emploi pour placer les chômeurs en difficulté ? »

Bénédicte Guesné : « {…} Chez Ingeus, nous avons un taux de retour à l'emploi de 40% sur des publics particulièrement fragiles. Nous nous engageons à rencontrer les candidats une à deux fois par semaine, nos consultants ne suivent pas plus de 50 dossiers. Notre principal atout est d'avoir tissé un maillage territorial avec les acteurs sociaux, qui nous permet de résoudre par exemple les problématiques de logement. A titre d'exemple, parmi les 13 377 jeunes que nous avons accompagné durant 6 mois à un an dans le cadre du programme « Contrat d'autonomie », plus d'un sur deux a trouvé une solution durable (emploi, formation, création d'entreprise), et même, deux sur trois en Ile-de-France

Les missions locales apprécieront, singulièrement celles qui se sont engagées avec ce type d’OPP dans le contrat d’autonomie, celles qui n’ont pas hésité à leur orienter des jeunes sous la pression des services déconcentrés de l’Etat, eux-mêmes sous pression des cabinets ministériels, eux-mêmes au service d’une idéologie dont particulièrement le postulat de la concurrence comme gage non seulement d’efficacité mais de – ah, la belle affaire ! – la « performance ». Darwinienne, Bénédicte Guesné en appelle à une « politique de rémunération aux résultats {qui} permettrait de sélectionner naturellement les meilleurs prestataires. Seuls ceux qui obtiennent de bons résultats seraient rémunérés à 100%. » Que vive la performance, que soit louée la sélection… que soit abandonnée la mission de service public.

Des « partenaires », dit-on… certes aux statuts différents mais, somme toute, poursuivant officiellement le même objectif « au bénéfice des jeunes » - ce qui autorise tout, ce qui balaye immédiatement toute objection considérée comme corporatiste. Les consultants ne suivent pas plus de cinquante dossiers… seuls les cabinets comme Ingeus peuvent mettre en place un suivi régulier… Comment des cabinets privés dont l’objectif est de dégager des plus-values, ce qui en soi n’est pas blâmable, parviennent-ils à ce taux de cinquante jeunes suivis par consultant alors que les missions locales, associations à but non lucratif, affichent des 200 à 300 jeunes par conseiller ? La réponse, évidente, est dans le coût de chaque accompagnement… et contredit le cœur même de l’argumentaire d’efficience qui justifie ce recours au privé… en dépit et déni, rappelons-le, de l’article 13 de la loi de cohésion sociale qui a explicitement confié aux missions locales la mise en œuvre du droit à l’accompagnement pour tout jeune rencontrant des risques d’exclusion professionnelle ! Que soit, qui plus est, avancé l’atout d’« un maillage territorial avec les acteurs sociaux » face à des structures présentes sur les territoires depuis trente ans laisse sans voix.

Il est des déclarations qui rappellent étrangement la métaphore selon laquelle les missions locales sont parfois des crocodiles qui, pénétrant dans la boutique d’un maroquinier, s’extasient devant la qualité des sacs exposés… « en croco ».

 

Article Capital ICI

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