Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Métier choisi, emploi décent. Et quelques mots au sujet de la RSE. (Philippe LABBE, décembre 2012)

1 Février 2013, 10:44am

Publié par mission

  Introduction

 

S’agissant des jeunes et du travail, une première observation doit être faite : on peut faire des constats, des analyses historiques mais la prospective est très aléatoire. Qu’en sera-t-il demain du travail ? Bien malin ou, très risqué, aspirant prophète celui qui croit pouvoir répondre avec assurance ! Nous sommes à l’ère de la complexité et celle-ci est caractérisée par l’incertitude, par l’imprévisible. On l’a vu sous nos yeux avec le Maghreb – une immolation et ça bifurque, battement d’aile et ouragan – mais on peut s’y préparer ne serait-ce qu’en incluant l’imprévisibilité dans notre stratégie : « L’aléatoire est une chance à saisir », écrit Edgar Morin [1]. L’énoncer pourra peut-être paraître à certains comme une formule rhétorique sympathique mais bien abstraite, tout juste acceptable dans la bouche d’un orateur supporté une ou deux heures mais totalement inutile pour le « professionnel de terrain », celui qui plonge les mains dans la glaise… vieille histoire d’Arthur Koestler, celle du yogi dans l’ultra-violet détaché des contingences aux yeux dans les étoiles, de temps à autre en lévitation, et du commissaire dans l’infra-rouge aux manches retroussées, solidement arrimé au sol et encombré de réalités [2]. Toutefois cette appréciation ne serait que trop spontanée car l’incertitude constitue pour les acteurs du social une double chance.

   

Tout d’abord, reconnu comme inhérent et intrinsèque à la nature humaine, l’aléatoire réhabilite ce que les intervenants sociaux ont toujours su, tout au moins ressenti : dans l’interaction avec l’usager, par exemple un jeune vulnérable, la causalité est malvenue et même aberrante. La règle de base de la complexité, paradigme (enfin !) majeur dans l’action sociale, est que A sur B ne donne jamais C mais C’. Pas de causalité mais, tout au plus, des possibilités, des covariations, le prime étant au bout du compte l’indication, le signe de la liberté de l’individu. Côté entreprises, cette imprévisibilité devrait inciter à une gestion non pas « des » mais « par » les ressources humaines.

   

Ensuite, seconde chance, inclure l’aléatoire dans le raisonnement signifie qu’on abandonne derrière soi toute prétention programmatique au bénéfice du projet qui, lui, est plastique. Le programme est descendant, mécanique, il s’applique, « il ne démord pas », pourrait-on dire, de ce qui a été décidé en amont ; le projet, parce qu’il compose avec l’aléatoire, est nécessairement ascendant, souple, construit et, plus, « co-construit ». Comme bien des notions qui eurent un temps le vent en poupe, le projet connût son ressac, accusé d’être un « diktat » avec l’argument qu’il était d’autant plus exigé qu’il ne concernait que des personnes vulnérables alors que les autres en étaient exonérés. Or, ce n’est pas le projet qui recouvre une dictature mais c’est son absence : sans projet, l’individu est dans la vacuité, charrié comme un fétu de paille par le courant d’un torrent. De longue date, le projet est un outil et, même plus, un prédicat majeur de l’intervention sociale. A juste raison [3].

_________________________________________

[1] Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, 1990, Paris, ESF Editeur.

[2] Arthur Koestler, Le yogi et le commissaire {1944} 1969, Paris, Calmann-Levy, « Le livre de poche ».

[3] Philippe Labbé, « La dictature du projet », mai 2008, revue Territoires.

 

La suite ICI


 


Commenter cet article