Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Lettre aux directrices et directeurs de Mission locale au sujet de l’emploi de qualité. (Philippe LABBÉ, 25 février 2015)

25 Février 2015, 05:58am

Publié par mission

Chères directrices et chers directeurs de Mission locale.

Comme vous sans doute, j’ai reçu via l’ANDML une invitation du « Mouvement associatif » à une « conférence – débat », le 12 mars prochain, pour réfléchir à « la qualité de l’emploi dans les associations ». Voici, sans aucun doute, une réflexion d’importance pour laquelle vous avez beaucoup de choses à dire… ne serait-ce qu’à propos de deux sujets qui méritent, du moins à mon sens, une réflexion inspirée par l’adage « balayer devant sa porte ».

En effet, s’agissant de « qualité de l’emploi », dans les associations et aussi ailleurs, c’est-à-dire là où vont les jeunes que vous accompagnez, pensez-vous en toute honnêteté que cette question soit, d’une part, posée et, d’autre part, considérée comme opportune ? Pour ma part et de ce que j’observe, je ne le crois ni le vois : la qualité non pas de l’ « emploi » mais de ce qui devrait être du « métier » n’est pas, « par la force des choses » (c’est ce que j’entends), une question que l’on se pose aujourd’hui en Mission locale. On prend ce que l’on a, faute de mieux. On ne fait pas, selon l’expression populaire, « les difficiles » parce que l’équilibre entre l’offre et la demande ne l’autorise pas ( la copieuse armée de réserve de K. Marx permet l’hyper-sélectivité du marché du travail, première cause de la désinsertion) et parce que, bon gré mal gré, en maugréant mais en courbant l’échine, on passe sous les fourches caudines des mesures évaluatives – strictement quantitatives - d’accès à l’emploi… au sujet desquels il n’a jamais été précisé qu’ils devaient être de « qualité ». Il suffit qu’ils soient « durables », c’est-à-dire de six mois ou plus… cette temporalité dérisoirement courte n’étant supportable que parce qu’elle s’applique aux jeunes, pas aux professionnels.… encore moins aux édiles financeurs à carrières politiques ad libitum. Pour Hannah Arendt, le « travail » (entendons ici « emploi ») n'était que la routine végétative de l'entretien de soi-même tandis que l' « œuvre » était le véritable achèvement et que l' « action » ouvrait la voie de la liberté. Force est de constater que la grande lessiveuse centrifuge du « marché », des inclus aux perclus et aux exclus, a éradiqué l’œuvre, ne laisse que l’emploi… (lorsqu’il ne s’agit pas des « FPE », ces formes aussi particulières d’emploi qu’elles sont généralisées ) et, quant à l’action, on la cherche mais on ne trouve que l’exécution, sinon la génuflexion.

Second – je devrais plus justement dire « deuxième » car le thème est loin d’être épuisé – sujet, la qualité de l’emploi pour les professionnels des Missions locales eux-mêmes. Celles-ci, on le sait, trouvent leurs racines dans l’éducation populaire dont une des pratiques invariantes fut des décennies et même plus de permettre à des personnes pas nécessairement diplômées mais justifiant d’un actif dans la vie sociale (investissement associatif, syndical, politique…) d’accéder à un parcours et à une évolution professionnels. Or, que constate-t-on ? Les recrutements par des directions de Missions locales tirent vers le haut : sans master, 2 de préférence, point de salut. Les chargés-ées d’accueil en CAE…

« Ah, bien sûr », il est répondu que tout cela (en tout cas pour les contrats aidés), « c’est faute de moyens ! »… tout en étant capable, avec le sérieux qui s’impose, de disserter sur l’importance de l’accueil – première rencontre avec la Mission locale. Il y a en Mission locale des « emplois – repères » qui auraient du devenir des « métiers » mais qui dérivent vers des « jobs ». Cela concerne tous les professionnels dont, évidemment, les conseillers qui, quoique faisant un travail de prestations intellectuelles, ne disposent que très parcimonieusement, pour ne pas dire pingrement sinon pas du tout, de temps de réflexion : où trouve-t-on sur les plannings, la veille, pourtant compétence « exercée et maîtrisée » dès conseiller niveau 1 ? Sont accordés, soyons justes, quelques temps d’ « échanges de pratiques », la soupape d’une cocotte minute en ébullition.

Je ne participerai évidemment pas à cette « conférence – débat » avec « remise des prix pour l’emploi de qualité » (sic), clôturée par François Rebsamen, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Parce que tout ceci procède d’un illusionnisme social, pour parler simplement : d’un enfumage, de la surexposition de quelques cas – les « candidatures aux "Prix pour l’emploi de qualité, Mon asso s’engage ! » - camouflant une réalité nettement moins amène. Derrière le bonzaï d’une bonne pratique, la forêt des renoncements.

On me rétorquera, sans doute : « Mais, précisément, c’est parce que la question de l’emploi de qualité est insuffisamment travaillée qu’il faut la promouvoir… C’est un objectif de communication, d’incitation, d’essaimage, d’exemplarité ! » Qu’on me permette le doute cartésien face à ce dessein de bonnes pratiques : d’une telle manifestation les participants sortiront sans doute sinon enthousiastes du moins apaisés, la fonction cathartique aura joué à plein régime. On se dira « Ben oui, l’emploi de qualité c’est quelque chose de bien »… et l’on continuera, pesants de reproduction, avec un petit fond de mauvaise conscience sur lequel on jettera des pelletées d’ « urgence sociale », de « contingences financières » et d’ « impossibilités pragmatiques ».

Quant à celles et ceux qui auront tenté de renvoyer cette – pourtant juste – question de la qualité de l’emploi aux pratiques effectives (les « faits têtus »), ils seront relégués, discrédités… a minima invalidés pour « utopie »… celle-là même que l’on révère sans risque chez le père fondateur, Bertrand Schwartz. Mais il est vrai qu’entre-temps de l’eau a coulé sous les ponts, qu’il faut être désormais raisonnable… tout en s’accordant, de temps à autre, une communion sans d’autres effets que le temps partagé d’avoir ensemble réfléchi à un rêve que nous avons abandonné en cours de route, qui n’a pas été plus long que la nuit.

 

 

 

 

 

 

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