Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Au sujet du (vrai ?) travail : partager les emplois, déchirer le voile de l’illusionnisme. (Philippe LABBÉ)

3 Mai 2012, 09:34am

Publié par mission

Selon Le Monde.fr du 30 avril qui se fait l’écho d’un rapport sur le travail publié par l'Organisation internationale du travail (OIT), il faut s’attendre à de « sombres perspectives pour l’emploi dans le monde ». Selon le rapport de l’OIT, les  politiques d'austérité vont continuer de peser négativement sur les perspectives de l'emploi. « Ce sont en effet près de 202 millions de personnes qui seront au chômage en 2012, soit six millions de plus que l'an passé. » Or « il est peu probable que l'économie mondiale croisse à un rythme suffisant ces deux prochaines années, d'une part pour combler le déficit d'emplois actuel, et d'autre part pour fournir du travail à plus de 80 millions de personnes qui devraient arriver sur le marché du travail au cours de la même période. Le directeur de l'Institut international d'études sociales de l'OIT, Raymond Torres, a déclaré que le chiffre (estimé provisoire) du chômage pour l'année 2011 s'élevait à 196 millions de personnes et devrait atteindre 202 millions en 2012, puis 207 millions en 2013. Les inquiétudes se focalisent notamment sur l'Europe, où les tendances sont particulièrement préoccupantes. Le taux de chômage a en effet augmenté dans près de deux tiers de ses pays membres depuis 2010. »

Ainsi M. Torres déclare que « L'austérité n'a pas produit plus de croissance économique », et met en cause « des politiques d'austérité « contre-productives » ayant conduit à une faible croissance économique et à des destructions d'emplois, sans pour autant avoir réduit de façon majeure les déficits budgétaires. » Les Grecs et les Espagnols apprécieront que l’on s’aperçoive ex post de l’imbécillité de baisser les salaires et les retraites tout en pariant sur une reprise de la croissance dont une partie importante provient de la relance de la consommation. « Comment acheter plus en gagnant moins ? » Cela n’empêchera sans doute pas les économistes néo-libéraux de continuer à prodiguer leurs conseils ou, plus exactement, d’orienter à coups d’injonction les politiques pour qu’ils étranglent leurs peuples : les faits têtus démontrent, une fois de plus, que la main invisible caresse les forts et étrangle les petits. Les mêmes faits toujours têtus démontrent également que les économistes – du moins, ceux qui conseillent les grands - sont (peut-être) bons pour tout sauf pour le futur.

Dans le rapport de Bertrand Schwartz de 1981, on peut lire explicitement « Agir sur le partage du temps de travail ». Ce thème est devenu soit obsolète, soit utopique, soit raillé par les tenants du « travailler plus… » Alors, face à ces prévisions sur la croissance du chômage, on continue comme si de rien n’était en misant sur la formation et/ou sur l’alternance. Mais croire que la formation résoudra le chômage est une illusion : il y aura autant de chômeurs… mais ceux-ci seront mieux formés ! Nous atteignons aujourd’hui un taux de chômage des jeunes de 25% et, pourtant, les jeunes n’ont jamais été aussi formés. Et les plaintes sur les difficultés de recrutement ne sont pas opposables car la première cause du chômage n’est pas à rechercher dans l’absence de qualifications mais dans l’hyper-sélectivité du marché du travail. Lorsque « l’armée de réserve industrielle » fond, c’est-à-dire lorsque la file d’attente des demandeurs d’emploi diminue, les employeurs savent mettre en place les conditions d’acquisition des compétences nécessaires. Il en est de même pour l’alternance dont on rappellera qu’elle était un axe majeur des propositions de Schwartz… en 1981, ce que l’on peut comprendre pour trois raisons : l’histoire de Schwartz lui-même, militant de l’éducation permanente ; l’époque encore proche – quelques années – des Trente Glorieuses avec lesquelles on pouvait croire renouer, grâce au magique « Changer la vie » de Mitterrand ; la nécessité de relier théorie et pratique, enseignement et entreprise, deux mondes vivant en parallèle. En juillet 2009 et sur la base d’un « très large consensus », les rédacteurs du Livre Vert sur la politique de la jeunesse écrivaient : « Un objectif clair devra guider les réformes proposées : la proportion de jeunes en alternance devrait être multipliée par deux d’ici 2015. Cela devrait conduire à ce que pour chaque génération un jeune sur 7 passe par un dispositif d’alternance. »

Pour autant, voilà trois décennies que, énièmes nouvelles idées usées jusqu’à la corde, l’alternance et l’apprentissage réapparaissent au fil des réformes sans que cela n’apporte de solutions concrètes pour la résolution du chômage. Pour être honnête, n’oublions pas la martingale des exonérations et aides multiples (depuis les « Plans Barre ») dont l’objectif est de baisser le coût du travail, ce qui revient à faire entrer dans les représentations qu’un jeune vaut moins, confondant investissement et dépenses. Il n’est pas rare que la première question d’un employeur face à une proposition d’embauche de jeune soit : « Combien cela va-t-il me rapporter ? »

La vraie question n’est d’ailleurs plus exclusivement celle du chômage mais celle-ci et celle du halo du chômage, c’est-à-dire la diffusion massive de la précarité, l’acceptation comme situation ordinaire de ce qu’on n’ose plus appeler les « formes particulières d’emploi » (FPE)… parce qu’elles ne sont plus particulières ! Le Front Populaire avait limité la durée du temps de travail à 40h ; Mitterrand à 39h ; Aubry à 35h… A chaque fois, le pire et la catastrophe économique étaient annoncés comme inévitables… et n’arrivèrent pas. Sauf, bien sûr, à attribuer la responsabilité de la seconde guerre mondiale à Léon Blum, Tchernobyl à Mitterrand et la faillite de Lehman Brothers à Aubry. La vraie catastrophe était celle des conditions de travail avant qu’on légifère pour limiter le temps de travail : au XIXè et au début du XXè siècle, la journée de travail pouvait atteindre jusqu’à quinze heures, il n’y avait qu’une journée de repos hebdomadaire et pas de vacances ; les ouvriers ne bénéficiaient d’aucune protection sociale et l’essentiel du budget des familles ouvrières était absorbé par les besoins alimentaires. Venait ensuite le logement, qui coûtait cher : les habitations étaient souvent insalubres et les familles se contentaient généralement d'une pièce unique. Et, aujourd’hui, la vraie catastrophe est celle d’un chômage massif et endémique, d’une pauvreté qui se répand, d’une insécurité professionnelle et sociale gangrénant les classes populaires et intermédiaires, des 700 à 800 000 accidents de travail annuels depuis trente ans, de la mise en concurrence de chacun contre tous promue par des chantres dont il faut louer la capacité d’assumer les paradoxes puisque, synchroniquement, ils disent aspirer à la cohésion sociale…

Il est donc (plus que) temps de reprendre le flambeau du partage du temps de travail ou, plus exactement, de l’emploi car, du travail, il n’en manque pas. Il est également (plus que) temps de remettre sur le métier l’ouvrage de « la protection sociale universelle qui intègre un droit à l’activité opposable » tel que l’a exprimé la FNARS lors de son congrès du 13 janvier dernier à Nantes.

Culture et confiture.

Toujours dans Le Monde.fr daté du 30 avril, un article de Philippe Quirion, économiste (comme quoi, tous ne méritent pas la moquerie ou le stigmate), « Nicolas Sarkozy et le travail : je t’aime, moi non plus ». On sait que le président sortant s’était déclaré en 2007, alors qu’il n’était qu’impétrant, « le président de la valeur travail ». On sait également que, dans ce qui sera bientôt analysé comme un composite de tactiques d’animal acculé plutôt qu’une stratégie, son dernier clivage organisait la partition entre « vrai » et, déductivement, « faux » travail : travailleurs contre assistés puis privé contre public. S’agissant de travailler, Quirion s’interroge donc : la France a-t-elle créé plus d'emplois pendant que Nicolas Sarkozy était et n'était pas aux affaires ? En a-t-elle créé davantage que ses voisins européens ? D’emblée il ne retient pas l’indicateur de taux de chômage – « sujet à des biais et des manipulations massives de la part des gouvernements, notamment à travers des radiations de chômeurs » - et lui préfère le taux d'emploi, c'est-à-dire le nombre d'emplois divisé par la population en âge de travailler (les 15-64 ans), « un chiffre bien moins manipulable que le taux de chômage, et mis à disposition par Eurostat pour la période 1992-2011. » Le constat, sans appel, déchire le voile rhétorique du slogan…

« Lorsque la droite remporte les législatives en France, au 2e trimestre 1993, le taux d'emploi en France est de 59,3%, 0,8 point de pourcentage en-dessous de la moyenne de l'Europe des 15. Au 3e trimestre 1997, après quatre ans de gouvernements menés par Edouard Balladur (avec Nicolas Sarkozy comme ministre du Budget) puis Alain Juppé, le taux d'emploi n'a augmenté que de 0,325 points, et le retard de la France sur l'Europe des 15 a presque doublé, passant de 0,8 à 1,4 point.

Bien différente est la situation au 3e trimestre 2002, après cinq ans de gouvernement Jospin, puisque le taux d'emploi a augmenté de 3,75 points. Naturellement, une grande partie de cette augmentation provient d'une meilleure conjoncture européenne et mondiale ; néanmoins, la politique menée en France n'y est sans doute pas pour rien puisque l'écart avec l'Europe des 15 s'est cette fois réduit, passant de 1,4 à 1,1 point.

Sous les présidences qui ont suivi (Jacques Chirac, dont Nicolas Sarkozy fut ministre de l'Economie, puis Nicolas Sarkozy lui-même), le taux d'emploi n'a augmenté que de 0,2 point (entre le 3e trimestre 2002 et le 4e trimestre 2011, dernière période disponible). Or, cette piètre performance ne s'explique pas seulement par la crise puisque l'écart avec la moyenne de l'Europe des 15 est passé de 1,1 à 1,8 point : après le léger rattrapage observé pendant le gouvernement Jospin, c'est à un véritable décrochage qu'on a assisté. »

Et, malignement, Quirion conclut : « Certes, la quantité d'emplois n'est pas tout, et d'autres dimensions sont essentielles : conditions de travail, stabilité ou précarité, adéquation entre la durée de travail souhaitée et celle de l'emploi occupé, adéquation entre les qualifications du salarié et celles de l'emploi... On peut cependant douter que le bilan de Nicolas Sarkozy soit meilleur sur ces points. Pour paraphraser Jean Delacour, il semble que le travail, c'est comme la confiture, moins on en a (créé) plus on l'étale. »

Le « vrai » travail…

Et, puisqu’il s’agit d’emploi et de travail, on ne pourra éviter une réflexion sur l’expression du « vrai travail » dont, une nouvelle fois, on comprend l’usage dans une stratégie de clivage : diviser pour mieux régner…. Ci-dessous un article de Gérard Filoche, militant syndical et politique, auteur, retraité après 30 ans comme inspecteur du travail, qui a été publié le 25 avril 2012, sur le site de la Fondation Copernic (http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article612 ), dont l’adage est « Pour remettre à l’endroit ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers »… Il y a de quoi faire…

Le "vrai" travail ? Celui des 600 accidents mortels par an, des 4500 mutilés du travail, du stress, des risques psychosociaux, du harcèlement, des souffrances, des suicides, du chantage à l’emploi et du management de combat ?

Le "vrai" travail ? Celui des droits violés et des licenciements sans motif, des 900 000 "ruptures conventionnelles" de gré à gré sans mesure sociale ?

Le "vrai" travail ? Celui des maladies professionnelles (amiante, TMS, surdité, cancers…), qui augmentent, mais sont sous-déclarées, sous-réparées ?

Le "vrai" travail ? Les 150 000 accidents cardiaques et 100 000 accidents vasculaires par an, dont 1/3 et à 50% liés au travail ?

Le "vrai" travail ? Des milliers d’ouvriers désamianteurs, que Sarkozy laisse en ce moment mourir sans protection par refus d’un moratoire ?

Le "vrai" travail ? Celui de ce jeune ascensoriste de 26 ans, écrasé par l’engin qu’il réparait, victime de la compétition sauvage "libre et non faussée" ?

Le "vrai" travail ? Celui de l’ouvrier de 55 ans devant son marteau piqueur ? De l’instituteur de 62 ans pour sa 41ème rentrée devant sa classe d’enfants ? De l’infirmière qui soigne encore à 65 ans ? De celles et ceux pour lesquels le travail est devenu plus pénible depuis le report de l’âge de la retraite ?

Le "vrai" travail ? Celui des seniors licenciés (2 sur 3 à partir de 55 ans), empêchés de cotiser plus de 35 annuités, alors que 42 sont exigées dorénavant pour une retraite décente ?

Le "vrai" travail ? Celui des mini-jobs, des stages, des emplois saisonniers atypiques, des 3x8, des 4x8, des intérims et CDD répétés ? Mais, "la vie, la santé, l’amour sont précaires... Pourquoi le travail ne le serait-il pas ?" (F. Parisot, N. Sarkozy)

Le "vrai" travail ? Celui du partage féroce et forcé du temps de travail entre sur-travail, sous-travail et sans-travail, avec un milliard d’heures supplémentaires, non déclarées, non majorées, non payées, 1,4 million de temps partiels subis, sept millions de travailleurs précaires (80% de femmes), cinq millions de chômeurs ?

Le "vrai" travail ? Celui des millions de travailleurs pauvres qui n’arrivent pas à se loger ni à vivre décemment de leur salaire ?

Le "vrai" travail ? Celui des femmes, qui gagnent 27 % de moins que les hommes, et occupent 85 % des temps partiels non qualifiés ?

Le "vrai" travail ? Celui des jeunes sortis de l’école, pour 25 % au chômage et 80 % en CDD ?

Le "vrai" travail ? Celui des immigrés, sans droits et sans papiers, exploités par des esclavagistes et des marchands de sommeil bien français ?

Le "vrai" travail ? Celui des 25% de restaurateurs qui utilisent des clandestins non déclarés dans le fond de leur cuisine ?

Le "vrai" travail ? Celui d’exploitants agricoles qui tuent des inspecteurs du travail pour pouvoir abuser d’immigrés clandestins, tandis que de petits agriculteurs et ouvriers agricoles, étranglés par les intermédiaires et les grands commerces, vivent dans la misère ?

Le "vrai" travail ? Celui des manœuvres, la « viande » que méprisent les contremaîtres dans les grosses entreprises de BTP ?

Le "vrai" travail ? Celui des auto-entrepreneurs, un million en théorie, la moitié en réalité, qui se font exploiter comme faux salariés, à bas prix et sans protection sociale ?

Le "vrai" travail ? Sans statut, parce que « la liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail », selon Mme Parisot et... M. Sarkozy ?

Le "vrai" travail ? Sans loi, sans état de droit dans les entreprises, sans protection des contrats, sans promotion dans les carrières, sans garantie de l’emploi ?

Le "vrai" travail ? Celui des conventions collectives, vieillies, foulées aux pieds par un patronat qui ne les négocient plus ?

Le "vrai" travail ? Sans syndicats, auxquels on doit, pourtant, le Smic, la durée légale, les congés payés, la sécurité sociale, le code du travail… ?

Le "vrai" travail ? Sans hygiène sécurité, sans médecine du travail renforcée et indépendante, sans institution représentative du personnel ?

Le "vrai" travail ? Celui soumis à la spéculation de la finance, des fonds de pension cyniques et rapaces, celui des Molex, de Sea France, de Gandrange et Florange, de Continental, Freescale, de Lejaby, de Pétroplus, ou des Fonderies du Poitou, ou de toutes celles et ceux qui ont dû se battre pour le garder ?

Le "vrai" travail ? Celui des actionnaires, des rentiers, des ultra-riches, des banksters du Fouquet’s, qui gagnent 600 SMIC par an en dormant ? Ou le plus pénible, qui est aussi le plus mal payé, dans le bâtiment, la restauration, le nettoyage, les transports, l’entretien, l’industrie… ?
Le "vrai" travail ? De celui qui bosse dur pour survivre misérablement, ou de celui qui exploite dur, pour vivre dans des palais dorés, avec des millions aux Iles Caïman ?

C’est dit.

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